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G. Trichies, JL Jalla, Mijo Gomez

Campylomyces heimii, un corticié spectaculaire et méconnu


L’association française «Aphyllophiles» regroupe des mycologues originaires d’une douzaine de pays européens qui se consacrent tout particulièrement à l’étude des Basidiomycètes dits « aphyllophorales ».

Campylomyces heimii GT 08355. Basidiomes. Photo G TRICHIES

Ce dernier terme, sans réelle valeur taxinomique, continue cependant d’être utilisé, par commodité de langage, pour désigner l’ensemble hétérogène et aux limites indécises des espèces porées, corticiées, clavarioïdes ou «hétérobasidiées». Dans ce but et entre autres activités, cette association organise des rencontres annuelles dans des régions géographiquement variées, en privilégiant autant que possible la diversité des habitats potentiels des champignons en question.

C’est au cours de l’une de ces sessions, tenue dans les Pyrénées-Orientales, que furent mis au jour des spécimens particulièrement intéressants rapportés à Campylomyces heimii (Malençon) Nakasone, une rare espèce cyphelloïde inféodée aux Quercus thermophiles et plutôt méditerranéens (Q. ilex et et sa sous espèce Q. ilex subsp. ballota). En raison de leur aspect tout à fait singulier, ces basidiomes ont pu être identifiés avec certitude sur le champ même. En effet, plusieurs années auparavant, une récolte similaire, faite par Didier Borgarino dans la région de Cadenet (Vaucluse), avait été confiée pour détermination à l’un des auteurs (G. T.). Dans un premier temps et faute de littérature appropriée, celui-ci en fut réduit à de vagues conjectures quant à l’identité de cet échantillon. La solution lui parvint quelque temps plus tard à la lecture d’un article reçu amicalement de sa collègue américaine Karen K. Nakasone (2004).

Abondamment illustré, ce travail est consacré justement à plusieurs genres apparentés de la famille des Gloeophyllaceae incluant entre autres l’espèce en question.

DESCRIPTION Nomenclature Campylomyces heimii (Malençon) Nakasone (NAKASONE, 2004: 262)

Basionyme: Veluticeps heimii Malençon (MALENÇON, 1939: 42)

Diagnose originale

Parvus, sessilis, 4-10 mm. latus, extus, breviter strigoso-hirtus, circa marginem sulcato-zonatus, primitus fulvus dein griseus, landem canescens; campaniformis, cupularis, vel cuneato cochleatus, lateraliter, vel dorsaliter tenuiter adfixus, siccus contractus, involutus, corneus, udus explanatus, molliter elasticus, subgelatinosus; pilei gregarii pluminusve confluentes, in series lineares frequenter dispositi, in serie compressas, rarius in orbiculis peltiformibus dispositi. Hymenium concavum, griseo-plumbeum dein avellaneum vel argillaceum, cystidiis veris destitutum sed setis (fasciculis hypharum sterilium) 100150 µ prominentibus conspersum. Caro tenuis, 1-2 mm. crassa, in cortice stratum nigrum corneum efformans, in trama molliuscula, aquose grisea vel pallide isabellina. Basidia longissime clavata, circ. 100 µ longa, apice 7-10 µ lata, 4spora. Sporæ cylindraces-ellipticæ, rectæ, rarassime curvulæ, hyalinæ, læves, hilo prominente præditæ, 17-20 x 6,5-7,5µ (18-19 x 7 µ). Hab. - Ad ramulos emortuos Quercus Ilicis, in clivis septentrionalibus montium Atlantis-Medii, prope Azrou (alt. circ. 1500 m), vere 1937 repetite legimus.

Position taxinomique actuelle: Fungi, Basidiomycota, Agaricomycotina, Agaricomycetes, Gloeophyllales, Gloeophyllaceae, Campylomyces (Hibbett et al., 2007; Jakucs et Dima, 2013).

Description de nos récoltes

Macromorphologie : Basidiomes longévifs, probablement pérennants, typiquement cupulés, cyphelliformes, rarement isolés, le plus souvent grégaires et croissant en grandes colonies. À terme, celles-ci constituent le plus souvent un ensemble allongé cohérent mesurant jusqu’à 15 à 20 cm de longueur et 3 à 10 cm de largeur, cette dernière dimension dépendant beaucoup du diamètre du support ligneux. Généralement sessile ou, plus rarement, fixé au substrat par un très court pédicule, chaque individu ne dépasse guère, en plein développement, 8 à 12 mm de diamètre et n’atteint qu’exceptionnellement 15 mm. De nature hygroscopique, ces basidiomes s’épanouissent à l’état imbu, dévoilant alors leur hyménophore, et se contractent fortement par temps sec en enroulant leur bord sur eux-mêmes. Sous ce dernier aspect, ils présentent surtout leur surface externe fortement hirsute-strigueuse. Déformés latéralement par compression mutuelle, ils perdent rapidement la régularité de leur forme initiale par soudure et confluence réciproque. L’ensemble de la colonie prend ainsi un aspect dédaléen, remarquablement bicolore, dont les zones fertiles grises contrastent violemment avec les bourrelets jaune moutarde, bordés de blanc, des marges retroussées des cupules.

Les chapeaux, mal individualisés, sont minces (1 à 2 mm d’épaisseur), de consistance souple et presque gélatineuse à l’état humide mais cornée par temps sec. Initialement d’un brun jaunâtre en raison de la villosité qui recouvre sa face extérieure, chaque cupule s’étale progressivement en développant un hyménophore interne concave, épithéloïde, de couleur gris plomb à gris brunâtre. Au stade de pleine maturité, seules subsistent les côtes sinueuses émoussées ourlant les zones fertiles et qui constituent la marge originelle extérieure des basidiomes adjacents. La surface hyméniale est hérissée d’émergences subulées, brunâtres mais hyalines au sommet, régulièrement et densément réparties (5-6 par mm linéaire) et bien visibles sous une loupe de terrain. Le type de pourriture provoquée par Campylomyces heimii n’avait pas encore été précisé à ce jour. Cependant, l’observation d’un spécimen récent permet d’affirmer raisonnablement qu’il s’agit en l’occurrence d’une carie fibreuse blanche.

Micromorphologie : Structure subdimitique. Hyphes génératrices à cloisons généralement bouclées, mais parfois afibulées dans la strate villeuse externe du cortex. Cette dernière se compose d’hyphes rectilignes jaune brun à brunâtres, densément accolées et non ramifiées; leur paroi, lisse à légèrement incrustée et occasionnellement gélifiée, est ferme ou épaissie jusqu’à 1,5 µm mais elle s’amincit progressivement vers le sommet. Leur diamètre varie de 2,5 à 5 µm. Le subiculum compact est formé d’hyphes à boucles constantes, agglutinées et parallèles au substrat, hyalines ou jaune foncé, lisses, modérément ramifiées, à paroi fine ou un peu affermie; elles mesurent de 1,5 à 6 µm de diamètre. Le sous-hyménium, moins dense, se redresse perpendiculairement à l’assise basale. Ses hyphes bouclées, hyalines, sont plus finement calibrées (2 – 3 µm); leur paroi est mince, lisse et gélifiée.

Campylomyces heimii

Planche 1 : Micromorphologie de Campylomyces heimii(GT 01241). A. basides immatures ; B. basides stérigmatées ; C. spores vues sur basidiome ; D.-E. éléments différenciés des émergences stériles hyméniales : D. éléments cystidioïdes à paroi fine porteurs de cristaux hyalins ; E. squelettocystide brun jaune incrustée ; Fa. hyphes sous-hyméniales ; Fb. hyphes basales ; G. coupe d’un basidiome sec. Barre d’échelle de 10 µm. Dessins Gérard Trichies

Les aiguillons stériles, en fuseau effilé, tapissent avec régularité la surface hyméniale de laquelle ils émergent longuement, jusqu'à 120 – 150 µm. Larges de 50 à 70 µm, chacun d’eux est constitué d’un faisceau d’éléments cystidioïdes d’origine profonde, subiculaire. Ces pseudocystides (ou squelettocystides) sont cylindriques, parfois lisses mais le plus souvent fortement ornées de cristaux hyalins ou jaunâtres. Leur paroi est ferme ou épaissie jusqu’à 1,2 µm mais elle s’amincit vers la base et au sommet, qui est obtus et hyalin.

Basides cylindracées, tétrasporiques, bouclées à leur base; elles mesurent jusqu’à 80-100 µm de longueur, et même davantage, et 6,5- 8 (10) µm de diamètre à leur sommet qui s’orne de stérigmates effilés de 4,5-5 µm de longueur

Spores de Campylomyces heimii

Spores de Campylomyces heimii GT 08355. Photo G. Trichies

Spores cylindracées en vue de profil, très étroitement ellipsoïdales en vue faciale, sensiblement atténuées aux extrémités, à arête interne très légèrement concave et arête externe un peu bombée. Hyalines et à paroi lisse et fine, elles se montrent insensibles au réactif de Melzer et au bleu coton. Elles mesurent (19,5) 21,9 -23,6- 25,4 (28) × (5,1) 5,8 -6,4- 7,2 (8,7) µm; Q = (2,8) 3,2 -3,7- 4,2 (4,9); n = 160.

Matériel examiné: Herbier GT 01201. Cadenet (Vaucluse, France), branche morte cortiquée, (probablement) en place, de Quercus ilex, leg. Didier Borgarino, en octobre 2000; det. Gérard Trichies. Herbier GT 08355. Sorède (Pyrénées-Orientales, France), branches mortes cortiquées de Quercus ilex, généralement en place ou récemment tombées, le 3 novembre 2008; leg. et det. G. Trichies.

OBSERVATIONS

Défini par Karen K. Nakasone (2004) au sein de la famille Gloeophyllaceae, le genre Campylomyces se caractérise hautement, comme certaines espèces de son voisin antérieur Veluticeps (Cooke) Pat., auquel il est étroitement apparenté, par ses spectaculaires émergences stériles subulées («hyphal pegs») ainsi que par la production de basides et de spores de grande taille. Il s’en distingue par ses basidiomes grégaires, cupulés ou disciformes, généralement confluents; par la présence d’hyphes génératrices gélifiées et, probablement, par le type de pourriture provoquée chez l’hôte: celle-ci semble blanche fibreuse pour Campylomyces (au moins en ce qui concerne C. heimii) alors qu’elle est décrite comme brune cubique pour Veluticeps. S’y ajoute aussi l’absence de réaction noirâtre de son hyménophore au contact de KOH, alors que celle-ci se montre très significative chez Veluticeps.

Le genre Campylomyces comporte actuellement deux espèces: C. heimii, objet de cette étude, et C.tabacinus (Cooke) Nakasone, le type de ce genre. Inféodée au chêne vert, la première a une répartition limitée au sud-ouest européen et à l’Afrique du Nord tandis que C. tabacinus, aux spores nettement plus grandes, semble strictement lié aux Eucalyptus australiens (Nakasone, 2004). On peut noter, toutefois, que C. heimii n’est pas mentionné dans le travail exhaustif que Nakasone (1990) avait consacré précédemment au genre tropical Veluticeps (Cooke) Pat.

La première mise au jour de cette spectaculaire espèce, rapportée alors au genre Veluticeps, a été faite par Georges Malençon (1938), mais celle-ci ne fut décrite exhaustivement et valablement publiée par cet auteur que l’année suivante (Malançon, 1939) sous le nom de Veluticeps heimii. Les spécimens en question, en provenance du Maroc, ont été récoltés sur branches mortes de Quercus ilex, dans une chênaie verte (yeuseraie) du Moyen-Atlas située près d’Azrou. Il aura fallu toutefois patienter près d’un demi-siècle pour qu’on découvre à nouveau des individus de cette même espèce, cette fois dans la zone européenne des pays du pourtour méditerranéen. D'abord au nord de l’Espagne, en 1984, où V. heimii est repéré pour la première fois dans la province de Cantabria, sur Quercus ilex (Tellería et Dueñas, 1986); puis une seconde fois, dans cette même région, en 1986 (Dueñas et Tellería , 1988). Un troisième signalement en a été fait plus récemment (Dueñas et al., 2009), dans le Parc naturel des sierras de Cazorla, dans la province plus méridionale de Jaén.

Aurait-elle mis un si long temps (réchauffement climatique obligerait alors !) pour franchir le détroit de Gibraltar… et paradoxalement en s’installant, d’abord au nord plutôt qu’au sud de l’Espagne? Il serait plus raisonnable de penser que V. heimii avait dû échapper durablement, à cause de sa rareté, à la vigilance des non moins rares mycologues qui s’intéressent à ce type de champignons.

Mais peut-être aussi en raison de sa position « aérienne » qui impose à ces derniers (contrairement à leur comportement habituel) à lever la tête vers le ciel plutôt qu’à scruter le sol. Quoi qu’il en soit, sur sa lancée, et malgré le lest de spores aussi volumineuses, V. heimii franchit allègrement la barrière pyrénéenne et s’installe en France.

C’est ainsi qu’en l’an 2000, il est découvert d’abord dans le Vaucluse, près de Cadenet, par D. Borgarino & P.-A. Moreau (comm. pers.). Puis à Sorède (Pyrénées-Orientales), vers le lotissement "Vallée Heureuse" au lieu-dit La Farga, lors des 20èmes Journées «Aphyllophorales» qui se sont tenues dans cette région en 2008. Depuis ces dates, d’autres récoltes de V. heimii ont été signalées à plusieurs reprises dans cette dernière station, en particulier par Cécilia Fridlender en 2017 (comm. pers.) et tout récemment (mars 2018) par l’un des auteurs (J.- L. J.) qui vient d’en repérer diverses stations lors d’une recherche orientée.

À notre connaissance, d’autres trouvailles ont encore été mentionnées dans le sud de la France, l’une dans le département de l’Hérault par Jean-Claude Malaval (comm. pers.), la seconde par Pierre- Arthur Moreau (comm. pers.), dans le département du Gard, lors des Journées organisées par la F.A.M.M. en 2012. Ce dernier signalement correspond à la station la plus septentrionale mentionnée à ce jour pour Campylomyces heimii. Étant donné que cette espèce semble étroitement liée à Quercus ilex s. l., il est surprenant de constater qu’elle n’a pas encore été signalée, pour le moment et à notre connaissance, dans certains autres pays du pourtour méditerranéen où cet arbre est présent et les autres conditions requises vraisemblablement réunies. Devant cette situation, on pourrait se risquer à conclure que, pour trouver un champignon, il convient avant tout de se mettre à sa place…

Bibliographie

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Dueñas M., Telleria M. T., Melo I. (2009). - The aphyllophorales (Basidiomycota) of a Mediterranean biodiversity “hotspot”-“Cazorla, Segura & Las Villas” Natural Park (Spain). Mycotaxon, 109, p. 465–468.

Henriot A., Cheype J.-L. (2017). - Piximètre : la mesure de dimensions sur images. Consulté sur http://ach.log.free.fr/Piximetre/

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Jakucs E., Dima B. (2013). - A gombarendszertan változásai az új évezredben = Changes of fungal systematics in the new millennium. Mikologiai Kozlemenyek - Clusiana, 52(1): 95-114. [http://www.gombanet.hu/upload/files/00_beliv_mikol_kozlem_clusiana_52-1-2-.pdf]

Malençon G. (1938). - L’horizon mycologique automnal des forêts du Moyen-Atlas dans

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BULL. FAMM., N. S., 54, 2018

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